Si des hommes lisent ces mots, qu’ils sachent quel lourd fardeau est le pouvoir. Ne cherchez pas à vous retrouver entravé par ses chaînes. Les prophéties terrisiennes affirment que j’aurai le pouvoir de sauver le monde.

Mais elles laissent aussi sous-entendre que j’aurai celui de le détruire.

 

2

 

Du point de vue de Kelsier, la cité de Luthadel – siège du Seigneur Maître – offrait un spectacle lugubre. La plupart des bâtiments étaient construits à partir de blocs de pierre, avec des toits de tuiles pour les riches et de simples toits de bois pointus pour les autres. Les édifices s’entassaient les uns contre les autres, ce qui leur donnait l’air trapu, bien qu’ils possèdent généralement un étage.

Les logements et boutiques étaient d’apparence uniforme ; mieux valait ne pas y attirer l’attention sur soi. À moins, bien entendu, d’appartenir à la grande noblesse.

Une dizaine de bastions monolithiques s’éparpillaient à travers la ville. Complexes par leur structure, avec leurs hautes voûtes ou leurs rangées de flèches évoquant des lances, c’étaient les demeures de la grande noblesse. En fait, elles étaient même la marque des familles de la grande noblesse : toutes celles qui avaient les moyens de construire un bastion et d’être très en vue à Luthadel étaient considérées comme des Grandes Maisons.

La majorité des espaces ouverts de la ville se regroupaient autour de ces bastions. Ces espaces vides au milieu des logements évoquaient des clairières en forêt, et les bastions eux-mêmes des montagnes solitaires surplombant le reste du paysage. Des montagnes noires. Comme le reste de la ville, les bastions étaient tachés par d’innombrables années de chutes de cendres.

Chaque édifice de Luthadel – presque chacun de ceux qu’avait jamais vus Kelsier – était noirci. Même les remparts de la ville, sur lesquels il se tenait actuellement, étaient couverts d’une patine de suie. Les édifices étaient généralement les plus noirs au sommet, là où s’accumulaient les cendres, mais les pluies et la condensation nocturne avaient déplacé les taches par-dessus les rebords et le long des murs. Comme de la peinture coulant sur une toile, la noirceur paraissait ramper le long des bâtiments selon une inclinaison inégale.

Les rues, bien entendu, étaient entièrement noires. Kelsier patientait, balayant la ville du regard tandis qu’un groupe de travailleurs skaa s’activait dans la rue en dessous de lui, déblayant les monticules de cendres les plus récents. Ils allaient les emporter jusqu’au fleuve Channerel, qui traversait le centre-ville, et les y jeter pour qu’il les emporte au large, afin d’éviter qu’ils n’ensevelissent la ville à force de s’accumuler. Kelsier se demandait parfois pourquoi l’empire tout entier n’était pas qu’un gros tas de cendres. Sans doute la cendre finissait-elle par nourrir la terre. Mais il fallait des efforts ridicules pour maintenir les villes propres et les champs assez dégagés pour être utilisables.

Heureusement, il y avait toujours assez de skaa pour accomplir le travail. Ceux qu’il voyait en bas portaient des manteaux et pantalons très simples, usés et tachés par les cendres. Comme les travailleurs des plantations qu’il avait quittés quelques semaines plus tôt, ils s’affairaient avec une gestuelle résignée, abattue. D’autres groupes de skaa passaient près des travailleurs, répondant aux cloches lointaines qui sonnaient l’heure et les appelaient à leur tâche matinale aux forges ou aux filatures. Luthadel exportait principalement des métaux ; la ville abritait des centaines de forges et de raffineries. Toutefois, les courants du fleuve fournissaient également d’excellents emplacements pour les moulins et filatures.

Les skaa continuaient à travailler. Kelsier se détourna d’eux pour regarder en direction du centre-ville, où le palais du Seigneur Maître se dressait comme un insecte massif hérissé de piquants. Kredik Shaw, la Colline aux Mille Flèches. Le palais représentait plusieurs fois la taille de n’importe quel bastion de la noblesse et c’était, de très loin, le plus gros bâtiment de la ville.

La cendre se remit à tomber tandis que Kelsier contemplait la ville, et les flocons recouvrirent légèrement rues et bâtiments. Il y a beaucoup de chutes de cendres ces derniers temps, songea-t-il, ravi de ce prétexte lui permettant de remonter le capuchon de sa cape. Les Monts de Cendre doivent être actifs.

Il était peu probable qu’on le reconnaisse à Luthadel – sa capture remontait à des années. Malgré tout, ce capuchon le rassurait. Si tout se passait bien, il viendrait un temps où Kelsier voudrait être vu et reconnu. Pour l’heure, l’anonymat restait sans doute préférable.

Une silhouette approcha enfin en rasant le mur. Cet homme, Dockson, était plus petit que Kelsier et possédait un visage carré bien assorti à sa carrure modérément charpentée. Une cape brune et quelconque munie d’un capuchon masquait ses cheveux noirs et il portait la même courte barbe depuis l’époque où son visage avait commencé à développer sa pilosité, une vingtaine d’années auparavant.

Tout comme Kelsier, il était vêtu d’un costume de noble : gilet coloré, manteau et pantalon sombres, ainsi qu’une fine cape destinée à le protéger des cendres. Ce n’était pas une tenue riche, mais aristocratique – caractéristique de la classe moyenne de Luthadel. La plupart des hommes de noble naissance n’étaient pas assez fortunés pour qu’on les considère comme membres d’une Grande Maison – mais, dans l’Empire Ultime, la noblesse n’était pas qu’une question d’argent. Plutôt d’histoire et de lignée ; le Seigneur Maître était immortel, et il se rappelait les hommes qui l’avaient soutenu aux premiers temps de son règne. Les descendants de ces hommes-là, si pauvres puissent-ils devenir, seraient toujours favorisés.

Ces tenues empêcheraient les gardes de patrouille de poser trop de questions. Dans le cas de Kelsier et Dockson, elles étaient bien sûr un mensonge. Aucun d’entre eux n’était réellement noble – bien que Kelsier soit techniquement de sang mêlé. Mais c’était, de bien des façons, un statut pire encore que celui de skaa ordinaire.

Dockson vint se placer près de Kelsier puis se pencha vers le rempart et posa une paire de bras robustes contre la pierre.

— Tu as plusieurs jours de retard, Kell.

— J’ai décidé de faire quelques étapes supplémentaires dans les plantations du nord.

— Ah, répondit Dockson. Donc tu avais effectivement un lien avec la mort de lord Tresting.

Kelsier sourit.

— On peut dire ça.

— Son meurtre a fait pas mal de foin parmi les nobles locaux.

— C’était plus ou moins l’intention, répondit Kelsier. Mais en toute franchise, je n’avais rien prévu d’aussi spectaculaire. C’était plus un accident qu’autre chose.

Dockson haussa un sourcil.

— Comment est-ce qu’on tue un noble « par accident » dans son propre manoir ?

— D’un couteau dans la poitrine, répondit Kelsier d’un ton dégagé. Ou plutôt de deux couteaux – on n’est jamais trop prudent.

Dockson leva les yeux au ciel.

— Sa mort n’est pas franchement une perte, Dox, poursuivit Kelsier. Même parmi les nobles, Tresting était réputé pour sa cruauté.

— Je me moque bien de Tresting, répondit Dockson. Je réfléchissais juste au degré de folie qui m’a poussé à envisager de retravailler avec toi. Attaquer un lord de province dans son manoir, au milieu des gardes… Très franchement, Kell, j’avais presque oublié à quel point tu peux être imprudent.

— De l’imprudence ? demanda Kelsier en riant. Pas du tout ce n’était qu’une petite diversion. Tu devrais voir certains de mes projets !

Dockson resta un moment immobile, puis éclata de rire à son tour.

— Par le Seigneur Maître, ça fait du bien de te revoir, Kell ! Je crains d’être devenu un peu ennuyeux ces dernières années.

— On va y remédier, promit Kelsier.

Il inspira profondément tandis que la cendre tombait légèrement autour de lui. Les skaa des équipes de nettoyage s’étaient déjà remis à déblayer les cendres noires dans les rues en contrebas. Derrière, un garde de patrouille salua Kelsier et Dockson d’un signe de tête sur son passage. Ils attendirent en silence qu’il se soit éloigné.

— Et ça fait du bien d’être de retour, dit enfin Kelsier. Luthadel a quelque chose d’accueillant – même si c’est un trou morne et déprimant. Tu as organisé la réunion ?

Dockson hocha la tête.

— Mais on ne peut pas commencer avant ce soir. Et comment es-tu entré, d’abord ? J’ai posté des hommes pour qu’ils surveillent les portes.

— Hmm ? Oh, je me suis infiltré cette nuit.

— Mais comment… (Dockson s’interrompit.) Ah, d’accord. Il va falloir s’y faire.

Kelsier haussa les épaules.

— Je ne vois pas pourquoi. Tu travailles toujours avec des Brumants.

— Oui, mais là, c’est différent, répondit Dockson, qui leva la main pour l’empêcher de protester. Pas la peine, Kell. Je ne suis pas en train de me dérober – j’ai simplement dit qu’il faudrait le temps de s’y faire.

— Parfait. Qui vient ce soir ?

— Eh bien, Brise et Ham seront là, évidemment. Ils sont très curieux d’en apprendre plus sur notre mystérieuse mission – et un peu contrariés que je refuse de leur dire où tu étais passé ces dernières années.

— Très bien, répondit Kelsier en souriant. Qu’ils s’interrogent donc. Et Trappe ?

Dockson secoua la tête.

— Trappe est mort. Le Ministère a fini par l’attraper il y a quelques mois. Ils n’ont même pas pris la peine de l’envoyer aux Fosses ils l’ont décapité sur place.

Kelsier ferma les yeux, expirant doucement. À croire que le Ministère d’Acier finissait par capturer tout le monde. Parfois, Kelsier avait le sentiment que la vie d’un Brumant skaa ne consistait pas tant à survivre qu’à choisir le bon moment pour mourir.

— Ce qui nous laisse sans Enfumeur, dit enfin Kelsier en rouvrant les yeux. Tu as des suggestions ?

— Ruddy, répondit Dockson.

Kelsier secoua la tête.

— Non. C’est un bon Enfumeur, mais ce n’est pas un homme assez bon.

Dockson sourit.

— Pas assez bon pour faire partie d’une équipe de voleurs… Kell, ça m’a vraiment manqué de travailler avec toi. Bon, qui d’autre, alors ?

Kelsier réfléchit un moment.

— Est-ce que Clampin tient encore sa boutique ?

— Pour autant que je sache, répondit lentement Dockson.

— Il est censé être l’un des meilleurs Enfumeurs de la ville.

— Sans doute, répondit Dockson. Mais… il n’est pas censé aussi avoir un caractère un peu difficile ?

— Il n’est pas si terrible que ça, répondit Kelsier, une fois qu’on s’y est habitué. Et puis je crois qu’il serait… prêt à accepter ce boulot en particulier.

— D’accord, répondit Dockson en haussant les épaules. Je vais l’inviter. Je crois qu’un membre de sa famille est un Œil-d’étain. Tu veux que je l’invite aussi ?

— Ça me paraît une bonne idée, répondit Kelsier.

— D’accord, dit Dockson. Enfin bref, en plus de ceux-là, il y a aussi Yeden. À supposer qu’il soit toujours intéressé…

— Il sera là, répondit Kelsier.

— Il a intérêt, commenta Dockson. Après tout, c’est lui qui va nous payer.

Kelsier hocha la tête, puis fronça les sourcils.

— Tu n’as pas parlé de Marsh.

Dockson haussa les épaules.

— Je t’avais prévenu. Ton frère n’a jamais approuvé nos méthodes, et maintenant… Enfin, tu le connais. Il refuse d’avoir le moindre lien avec Yeden et la rébellion, sans parler d’une bande de criminels comme nous. Je crois qu’on va devoir trouver quelqu’un d’autre pour infiltrer les obligateurs.

— Non, insista Kelsier. C’est lui qui va s’en charger. Il faudra simplement que je passe le voir pour l’en convaincre.

— Si tu y tiens.

Ils gardèrent ensuite un moment le silence, appuyés contre le rempart pour contempler la ville maculée de cendres.

Enfin, Dockson secoua la tête.

— C’est insensé, hein ?

Kelsier sourit.

— Mais agréable, tu ne trouves pas ?

Dockson hocha la tête.

— Extrêmement.

— Ce sera une mission hors du commun, promit Kelsier en regardant au nord, par-dessus les toits, le bâtiment tordu qui se dressait en leur centre.

Dockson s’écarta du mur.

— Il nous reste quelques heures avant la réunion. Je voudrais te montrer quelque chose. Je crois qu’on a encore le temps – si on se dépêche.

Kelsier se tourna vers lui, un éclat curieux dans le regard.

— Eh bien, je comptais vraiment aller réprimander le lâche qui me sert de frère, mais…

— Tu ne regretteras pas d’avoir pris le temps, promit Dockson.

 

Vin était assise dans le coin de la pièce principale de la planque. Bien entendu, elle se cantonnait aux ombres ; plus elle restait hors de vue, plus les autres l’ignoraient. Elle ne pouvait se permettre d’utiliser son Porte-chance pour empêcher les hommes de la toucher. Elle avait à peine eu le temps de reconstituer les réserves dépensées quelques jours plus tôt, lors de l’entretien avec l’obligateur.

La faune habituelle se prélassait aux tables meublant la pièce, occupée à jouer aux dés ou à parler de petites missions. La fumée d’une dizaine de pipes s’accumulait sous le plafond, et les murs étaient tachés par d’innombrables années de ce traitement. Le sol était maculé de cendre. Comme la plupart des bandes de voleurs, celle de Camon n’était pas réputée pour son sens de l’ordre.

Au fond de la pièce, une porte s’ouvrait sur un escalier de pierre en colimaçon qui menait à une fausse bouche d’égout dans une allée. Cette pièce cachée, comme tant d’autres dans la capitale impériale de Luthadel, n’était pas censée exister.

Un rire âpre éclata dans le coin de la pièce où Camon, assis avec une demi-douzaine d’acolytes, passait un après-midi typique à boire de la bière en échangeant des blagues graveleuses. Sa table jouxtait le bar, où les boissons trop chères n’étaient qu’un moyen supplémentaire pour lui d’exploiter ses subordonnés. Les éléments criminels de Luthadel avaient bien appris à suivre l’exemple des nobles.

Vin s’efforçait de rester invisible. Six mois plus tôt, elle n’aurait jamais cru que sa vie puisse réellement empirer en l’absence de Reen. Mais malgré toutes les fois où son frère la maltraitait sous le coup de la colère, il la protégeait des autres membres de l’équipe. Il y avait assez peu de femmes dans les équipes de voleurs ; généralement, celles qui se retrouvaient impliquées dans la clandestinité finissaient prostituées. Reen lui avait toujours dit qu’une fille devait se montrer coriace – plus encore qu’un homme – si elle voulait survivre.

Tu crois qu’un chef de bande voudra d’un poids mort comme toi dans son équipe ? lui avait-il dit. Même moi, je n’ai pas envie de travailler avec toi, et pourtant je suis ton frère.

Son dos lui faisait toujours mal ; Camon l’avait fouettée la veille. Le sang allait abîmer sa chemise et elle n’aurait pas les moyens de s’en payer une autre. Camon prélevait déjà sur son salaire pour rembourser les dettes qu’avait laissées Reen.

Mais je suis coriace, se dit-elle.

L’ironie était là. Les coups ne lui faisaient presque plus mal, car les maltraitances fréquentes de Reen l’avaient rendue extrêmement résistante, tout en lui apprenant à afficher un air pitoyable et soumis. D’une certaine façon, les coups allaient à l’encontre du but recherché. Les ecchymoses et les marques guérissaient, mais chaque nouvelle série de coups de fouets rendait Vin encore plus dure. Encore plus forte.

Camon se leva. Il tira sa montre en or de la poche de son gilet. Il gratifia l’un de ses compagnons d’un signe de tête, puis balaya la pièce du regard en quête de… Vin.

Son regard se posa sur elle.

— Il est l’heure.

Elle fronça les sourcils. L’heure de quoi ?

 

Le Canton des Finances du Ministère était un édifice imposant – cela dit, tout ce qui se rapportait au Ministère d’Acier l’était généralement.

Le bâtiment, grand et massif, possédait une immense rosace à l’avant, bien que la vitre apparaisse noire de l’extérieur. Deux grandes bannières de tissu rouge taché de suie pendaient près de la fenêtre, affichant des louanges à la gloire du Seigneur Maître.

Camon étudia le bâtiment d’un œil critique. Vin percevait son appréhension. Le Canton des Finances n’était pas le plus menaçant des bureaux du Ministère – le Canton de l’Inquisition, ou même celui de l’Orthodoxie, possédait une réputation bien plus sinistre. Toutefois, entrer de son plein gré dans n’importe quel bureau du Ministère… se soumettre à l’emprise des obligateurs… Eh bien, il ne fallait pas s’y risquer à la légère.

Camon inspira profondément, puis s’avança en faisant claquer sa canne de duel contre les pavés. Il portait son riche costume de noble et il était accompagné d’une demi-douzaine de membres de l’équipe – Vin comprise – qui incarneraient ses « serviteurs ».

Vin monta les marches à la suite de Camon, puis patienta tandis que l’un des voleurs s’empressait d’aller ouvrir la porte à son « maître ». Des six accompagnateurs, Vin semblait être la seule qu’on n’ait pas informée du plan. Étrangement, Theron – censé être le partenaire de Camon dans l’arnaque du Ministère – était absent.

Vin entra dans le bâtiment du Canton. Une lumière d’un rouge éclatant, veinée de bleu, tombait de la rosace. Un unique obligateur, affichant autour des yeux des tatouages de niveau intermédiaire, était assis à un bureau au bout de l’entrée tout en longueur.

Camon approcha, faisant résonner sa canne contre le tapis.

— Je suis lord Jedue, annonça-t-il.

Vous jouez à quoi, Camon ? songea Vin. Vous avez assuré à Theron que vous n’iriez pas rencontrer le prélan Laird dans son bureau du Canton. Et pourtant, vous y voilà.

L’obligateur hocha la tête tout en griffonnant dans son grand livre. Il désigna une pièce latérale.

— Vous êtes autorisé à emmener un de vos serviteurs avec vous dans la salle d’attente. Les autres doivent rester ici.

Camon poussa un soupir dédaigneux indiquant clairement ce que lui inspirait cette interdiction. L’obligateur, toutefois, ne leva pas les yeux de son livre. Camon resta un moment immobile sans que Vin puisse déterminer s’il était réellement furieux ou s’il jouait simplement le rôle du noble arrogant. Il finit par la désigner.

— Viens, dit-il, avant de se retourner et de rejoindre en se dandinant la porte qu’on lui indiquait.

La pièce qui se trouvait au-delà était somptueuse et plusieurs nobles s’y prélassaient dans diverses postures d’attente. Camon choisit un siège, puis indiqua une table où l’on avait disposé du vin et des gâteaux au glaçage rouge. Vin alla docilement lui chercher un verre de vin ainsi qu’une assiette de nourriture, ignorant sa propre faim.

Camon entama les gâteaux d’un air affamé, claquant des lèvres tout en mangeant.

Il est nerveux. Peut-être encore plus qu’avant.

— Une fois qu’on sera entrés, tu ne diras rien, marmonna Camon entre deux bouchées.

— Vous êtes en train de trahir Theron, chuchota Vin.

Camon hocha la tête.

— Mais comment ? Pourquoi ?

Le plan de Theron était complexe dans son exécution, mais très simple dans sa conception. Chaque année, le Ministère transférait ses nouveaux acolytes depuis un établissement de formation situé au sud de Luthadel pour qu’ils y terminent leur enseignement. Theron avait toutefois découvert que ces acolytes et leurs surveillants apportaient avec eux de grosses quantités de fonds du Ministère – déguisés en bagages – qui devaient être mis en lieu sûr à Luthadel.

Le banditisme était ardu dans l’Empire Ultime, compte tenu des patrouilles constantes le long des voies fluviales. Toutefois, lorsque l’on pilotait soi-même les péniches sur lesquelles naviguaient les acolytes, il devenait possible de les dévaliser. Si l’on s’y prenait pile au bon moment… avec les gardes se retournant contre leurs passagers… on pouvait se faire de gros profits, puis en accuser le banditisme.

— La bande de Theron est affaiblie, répondit Camon tout bas. Il a dépensé trop de ressources sur ce travail.

— Mais quand il reviendra…

— Ça ne se produira jamais si je prends immédiatement ce que je peux puis que je m’enfuis, répondit un Camon souriant. Je vais convaincre les obligateurs de me verser une avance pour mettre mes bateaux à flot, puis disparaître en laissant Theron s’occuper des retombées quand le Ministère se rendra compte qu’on l’a escroqué.

Vin recula, légèrement choquée. La mise au point d’une telle arnaque avait dû coûter à Theron des milliers et des milliers de castelles – si l’accord tombait à l’eau à ce stade, il se retrouverait ruiné. Et avec le Ministère à ses trousses, il n’aurait même pas le temps de se venger. Camon se ferait un profit rapide tout en éliminant l’un de ses rivaux les plus puissants.

Theron a été idiot d’embarquer Camon dans ce projet, se dit-elle. D’un autre côté, la somme qu’il avait promis de verser à Camon était conséquente ; il devait supposer que l’avarice de son partenaire le contraindrait à l’honnêteté jusqu’à ce qu’il ait lui-même l’occasion de le trahir. Camon était simplement passé à l’acte plus vite que quiconque, même Vin, n’aurait pu le prévoir. Comment Theron aurait-il pu savoir que Camon allait saboter le projet lui-même, plutôt que de guetter le bon moment pour voler tout le butin de la caravane de bateaux ?

L’estomac de Vin se noua. Ce n’est qu’une trahison de plus, songea-t-elle, écœurée. Pourquoi est-ce que ça me dérange encore autant ? Tout le monde trahit tout le monde. La vie est comme ça…

Elle avait envie de trouver un recoin – un endroit exigu et isolé – pour s’y cacher. Toute seule.

Tout le monde te trahira. Tout le monde.

Mais elle n’avait nulle part où aller. Un obligateur de bas rang entra enfin pour appeler lord Jedue. Vin suivit Camon tandis qu’on les faisait pénétrer dans une salle d’audience.

L’homme qui les y attendait, assis au bureau, n’était pas le prélan Laird.

Camon s’arrêta sur le pas de la porte. La pièce était austère, seulement meublée de ce bureau et d’un tapis gris très simple. Les murs de pierre étaient nus, et la seule fenêtre ne mesurait qu’une main de largeur. L’obligateur qui les attendait portait autour des yeux des tatouages parmi les plus complexes que Vin ait jamais vus. Elle ne savait même pas quel rang ils indiquaient, mais ils s’étendaient jusqu’aux oreilles et au front de l’obligateur.

— Lord Jedue, dit l’étrange obligateur.

Comme Laird, il portait une robe grise, mais il différait beaucoup des hommes d’allure sévère et bureaucratique avec lesquels Camon avait déjà traité. Celui-là était mince, quoique plutôt musclé, et son crâne rasé et son visage triangulaire lui conféraient un air quasi prédateur.

— J’avais cru comprendre que je rencontrerais le prélan Laird, déclara Camon, qui n’était toujours pas entré dans la pièce.

— Il a été appelé à d’autres affaires. Je suis le haut prélan Arriev – je préside le comité qui a étudié votre proposition. Vous avez là l’occasion très rare de vous adresser directement à moi. En règle générale, je n’accorde pas d’audiences moi-même, mais l’absence de Laird me contraint à partager une partie de son travail.

Vin se raidit par réflexe. Il faut qu’on parte. Tout de suite.

Camon resta un long moment immobile, visiblement songeur. Fallait-il prendre la fuite ? Ou courir un risque pour toucher le gros lot ? Vin se moquait bien du lot ; elle voulait simplement vivre. Camon, toutefois, n’était pas devenu chef de bande sans avoir couru quelques risques. Il s’avança lentement dans la pièce et s’installa d’un air circonspect face à l’obligateur.

— Eh bien, haut prélan Arriev, dit Camon d’une voix prudente. Puisque l’on m’a rappelé pour un autre entretien, je suppose que mon offre intéresse le comité ?

— En effet, répondit l’obligateur. Mais je dois avouer que certains membres du Conseil ont quelques appréhensions quant au fait de traiter avec une famille si proche de la faillite. Le Ministère préfère généralement se montrer plus conservateur dans ses opérations financières.

— Je vois.

— Cependant, poursuivit Arriev, d’autres membres sont tout à fait disposés à profiter des économies que vous nous proposez.

— Et dans quelle catégorie vous placez-vous, Monseigneur ?

— Je n’ai, pour l’heure, pas encore pris ma décision. (L’obligateur se pencha en avant.) C’est pourquoi je vous faisais remarquer que vous disposiez d’une occasion très rare. Persuadez-moi, lord Jedue, et vous aurez votre contrat.

— Le prélan Laird a bien dû vous présenter les détails de notre offre, dit Camon.

— Oui, mais j’aimerais entendre vos arguments de votre bouche. Faites-moi plaisir.

Vin fronça les sourcils. Elle s’attardait au fond de la pièce, près de la porte, toujours à moitié persuadée qu’elle devait s’enfuir.

— Alors ? insista Arriev.

— Nous avons besoin de ce contrat, Monseigneur, répondit Camon. Sans lui, nous ne pourrons pas poursuivre nos opérations de commerce fluvial. Votre contrat nous offrirait une période de stabilité dont nous avons grand besoin – une chance de maintenir quelque temps notre caravane de bateaux pendant que nous chercherons d’autres contrats.

Arriev étudia Camon un moment.

— Je suis persuadé que vous pouvez faire bien mieux que ça, lord Jedue. Laird m’a dit que vous vous étiez montré extrêmement convaincant – je veux vous entendre me prouver que vous méritez notre patronage.

Vin prépara son Porte-chance. Elle pouvait rendre Arriev plus enclin à croire… mais quelque chose la retenait. Toute cette situation sonnait faux.

— Nous sommes votre meilleure option, Monseigneur, dit Camon. Vous craignez que ma maison ne subisse une faillite économique ? Eh bien, si la situation se présente, qu’aurez-vous perdu ? Dans le pire des cas, mes péniches cesseront de circuler et vous devrez trouver d’autres marchands avec lesquels traiter. Toutefois, si votre patronage suffit à assurer la subsistance de ma maison, alors vous aurez déniché un contrat enviable sur le long terme.

— Je vois, répondit Arriev d’un ton léger. Et pourquoi le Ministère ? Pourquoi ne pas traiter avec quelqu’un d’autre ? Il doit bien y avoir d’autres solutions pour vos bateaux – d’autres groupes qui sauteraient sur de tels prix.

Camon fronça les sourcils.

— Il n’est pas question d’argent, Monseigneur, mais de la victoire – de la démonstration de confiance – que nous obtiendrions grâce à un contrat du Ministère. Si vous nous faites confiance, d’autres vous imiteront. J’ai besoin de votre soutien.

Camon transpirait à présent. Il devait commencer à regretter cette prise de risque. Avait-il été trahi ? Était-ce Theron qui se trouvait derrière cet étrange entretien ?

L’obligateur attendait en silence. Vin savait qu’il pouvait les détruire. S’il soupçonnait seulement qu’ils étaient en train de l’arnaquer, il pouvait les livrer au Canton de l’Inquisition. Plus d’un noble entré dans un bâtiment du Canton n’en était jamais ressorti.

Serrant les dents, Vin puisa dans son Porte-chance pour apaiser la méfiance de l’obligateur.

Arriev sourit.

— Eh bien, déclara-t-il soudain, vous m’avez convaincu.

Camon soupira de soulagement. Arriev poursuivit :

— Votre dernière lettre laissait sous-entendre que vous aviez besoin d’une avance de trois mille castelles pour remettre votre matériel à neuf et reprendre vos opérations. Allez trouver le scribe dans le couloir principal afin de lui demander les fonds nécessaires.

L’obligateur tira d’une pile une feuille d’épais papier bureaucratique, puis appliqua un sceau en bas de la page. Il la tendit ensuite à Camon.

— Votre contrat.

Camon afficha un large sourire.

— Je savais que venir au Ministère était un choix judicieux, dit-il en acceptant le contrat.

Il se leva, saluant l’obligateur d’un signe de tête respectueux, puis fit signe à Vin de lui ouvrir la porte.

Elle s’exécuta. Quelque chose ne tourne pas rond. Pas du tout, même.

Un obligateur heureux était toujours mauvais signe.

Pourtant, personne ne les arrêta tandis qu’ils traversaient la salle d’attente avec ses occupants nobles. Camon appliqua son propre sceau au bas du contrat avant de le remettre au scribe adéquat, et aucun soldat n’apparut pour les arrêter. Le scribe sortit un petit coffre rempli de pièces, qu’il tendit à Camon d’une main indifférente.

Puis ils quittèrent simplement le bâtiment du Canton, tandis que Camon rappelait ses autres serviteurs avec un soulagement manifeste. Aucun cri d’alarme. Aucun pas lourd de soldat. Ils étaient libres. Camon avait réussi à escroquer à la fois le Ministère et un autre chef de bande.

En apparence.

 

Kelsier enfourna un autre de ces petits gâteaux au glaçage rouge, qu’il mâchonna avec satisfaction. Le voleur corpulent et sa servante maigrichonne traversèrent la salle d’attente pour pénétrer dans l’entrée au-delà. L’obligateur qui s’était entretenu avec les deux voleurs demeurait dans son bureau, où il attendait apparemment le rendez-vous suivant.

— Alors ? demanda Dockson. Qu’est-ce que tu en dis ?

Kelsier jeta un coup d’œil aux gâteaux.

— Ils sont délicieux, répondit-il avant d’en prendre un autre. Le Ministère a toujours eu un goût excellent – c’est logique qu’ils fournissent des en-cas de qualité supérieure.

Dockson leva les yeux au ciel.

— De la jeune fille, Kell.

Kelsier sourit tandis qu’il empilait quatre gâteaux dans sa main, puis désignait la porte. La salle d’attente du Canton devenait trop animée pour discuter de sujets délicats. En sortant, il s’arrêta pour annoncer au secrétaire de l’obligateur qu’ils devaient remettre l’entretien à plus tard.

Puis ils traversèrent le vestibule et passèrent devant le chef de bande corpulent, occupé à discuter avec un scribe. Kelsier sortit dans la rue, remonta son capuchon pour se protéger des chutes de cendres, puis traversa, Dockson à sa suite. Il s’arrêta près d’une ruelle, à un emplacement où ils pouvaient observer les portes du bâtiment du Canton.

Kelsier mâchonnait ses gâteaux d’un air satisfait.

— Comment as-tu entendu parler d’elle ? demanda-t-il entre deux bouchées.

— Par ton frère, répondit Dockson. Camon a tenté d’escroquer Marsh il y a quelques mois, et cette fois-là aussi, il était accompagné de cette fille. En fait, le petit porte-bonheur de Camon commence à devenir célèbre dans les milieux autorisés. Je ne sais pas encore trop s’il est conscient ou pas de ce qu’elle est. Tu sais comme les voleurs peuvent se montrer superstitieux.

Kelsier hocha la tête tout en s’époussetant les mains.

— Comment savais-tu qu’elle serait là aujourd’hui ?

Dockson haussa les épaules.

— Quelques pots-de-vin bien ciblés. Je garde cette fille à l’œil depuis que Marsh me l’a désignée. Je voulais te donner l’occasion de la voir toi-même à l’œuvre.

De l’autre côté de la rue, la porte du bâtiment du Canton s’ouvrit enfin et Camon descendit les marches, entouré d’un groupe de « serviteurs ». La jeune fille menue et aux cheveux courts le suivait. Kelsier fronça les sourcils. Elle marchait d’un pas nerveux et sursautait chaque fois que quelqu’un faisait un geste brusque. Le côté droit de son visage était toujours légèrement décoloré à cause d’une ecchymose partiellement guérie.

Kelsier toisa ce m’as-tu-vu de Camon. Il faudra que je trouve un sort particulièrement adapté à faire subir à cet homme.

— Pauvre petite, marmonna Dockson.

Kelsier hocha la tête.

— Elle se libérera vite de son emprise. C’est incroyable que personne ne l’ait découverte avant.

— Alors ton frère avait raison ?

Kelsier fit signe que oui.

— C’est au minimum une Brumante, et si Marsh a raison, elle est bien plus que ça. J’aurais tendance à le croire. Je suis un peu surpris de la voir utiliser l’allomancie sur un membre du Ministère, surtout à l’intérieur d’un bâtiment du Canton. Je suppose qu’elle n’est même pas consciente de se servir de ses pouvoirs.

— C’est possible ? demanda Dockson.

Kelsier hocha la tête.

— On peut brûler les traces de minéraux contenues dans l’eau, si on n’a besoin que d’une infime parcelle de pouvoir. C’est une des raisons pour lesquelles le Seigneur Maître a bâti cette ville ici : le sol contient pas mal de métaux. Je dirais que…

Kelsier s’interrompit, fronçant légèrement les sourcils. Quelque chose ne tournait pas rond. Il jeta un coup d’œil à Camon et à son équipe. Il les voyait toujours au loin traverser la rue en direction du sud.

Une silhouette apparut à la porte des locaux du Canton. Mince, l’air assuré, il portait autour des yeux les tatouages d’un haut prélan du Canton des Finances. Sans doute l’individu même que Camon venait de rencontrer. L’obligateur sortit du bâtiment, suivi d’un deuxième homme.

Près de Kelsier, Dockson se raidit soudain.

Le deuxième homme était grand et solidement bâti. Lorsqu’il se tourna, Kelsier vit qu’on avait enfoncé une épaisse tige métallique dans chacun de ses yeux, la pointe d’abord. Ces tiges semblables à des clous, aussi épaisses que ses orbites, étaient assez longues pour que leur pointe dépasse de un centimètre environ à l’arrière du crâne rasé de cet homme. Les extrémités plates brillaient comme deux disques d’argent, saillant des orbites à l’avant, là où auraient dû se trouver les yeux.

Un Inquisiteur d’Acier.

— Qu’est-ce que ça fait là, ça ?

— Garde ton calme, lui dit Kelsier tout en s’efforçant de suivre son propre conseil.

L’Inquisiteur les regarda, fixant Kelsier de ses yeux transpercés, avant de se retourner vers la direction qu’avaient empruntée Camon et la jeune fille. Comme tous les Inquisiteurs, il portait des tatouages complexes autour des yeux – majoritairement noirs, agrémentés d’une ligne rouge bien nette – qui le désignaient comme un membre haut placé du Canton de l’Inquisition.

— Il n’est pas là pour nous, déclara Kelsier. Je ne brûle rien – il va nous prendre pour deux nobles ordinaires.

— La jeune fille, dit Dockson.

Kelsier hocha la tête.

— Tu m’as dit que Camon préparait cette escroquerie contre le Ministère depuis un bon moment. Un des obligateurs a dû repérer cette fille. Ils sont formés à percevoir quand un allomancien joue avec leurs émotions.

Dockson fronça les sourcils, songeur. De l’autre côté de la rue, l’Inquisiteur échangea quelques mots avec l’autre obligateur, puis ils se détournèrent pour emprunter la même direction que Camon. Leur démarche ne trahissait aucun empressement.

— Ils ont dû envoyer quelqu’un les filer, déclara Dockson.

— On parle du Ministère, répondit Kelsier. Ils ont dû envoyer deux personnes, au minimum.

Dockson acquiesça.

— Camon va les conduire tout droit à sa planque. Des dizaines d’hommes vont mourir. Pas que ce soient les gens les plus admirables au monde, mais…

— Ils se battent contre l’Empire Ultime, à leur façon, dit Kelsier. Et puis je ne compte pas laisser une Fille-des-brumes potentielle nous échapper – je veux lui parler. Tu peux t’occuper de leurs poursuivants ?

— Je t’ai dit que j’étais devenu ennuyeux, Kell, répondit Dockson. Pas négligent. Je peux très bien m’occuper de deux sous-fifres du Ministère.

— Parfait, dit Kelsier, tirant un petit flacon de la poche de sa cape.

Un assortiment de copeaux métalliques y flottait dans une solution d’alcool. Fer, acier, étain, potin, cuivre, bronze, zinc et laiton – les huit métaux de base de l’allomancie. Kelsier déboucha le flacon pour en avaler le contenu d’un trait.

Il replaça le flacon vide dans sa poche et s’essuya la bouche.

— Je m’occupe de cet Inquisiteur.

Dockson parut inquiet.

— Tu vas essayer de l’affronter ?

Kelsier fit signe que non.

— Trop dangereux. Je vais me contenter de le divertir. Maintenant, file – il ne faudrait pas que leurs poursuivants découvrent la planque.

Dockson hocha la tête.

— On se retrouve au quinzième carrefour, dit-il avant de se mettre en marche et de disparaître à un tournant.

Kelsier compta jusqu’à dix après le départ de son ami, avant de puiser en lui-même pour brûler ses métaux. Une sensation de force, de puissance et de précision déferla dans tout son corps.

Kelsier sourit ; puis – brûlant du zinc – il tira fermement sur les émotions de l’Inquisiteur. La créature se figea sur place, et pivota pour regarder vers le bâtiment du Canton.

Et si on se donnait la chasse, toi et moi ? songea Kelsier.

L'empire ultime
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